« Friedland vaudra Austerlitz, Iéna ou Marengo, dont je fête aujourd'hui l'anniversaire », lance Napoléon Ier au soir de la grande bataille qu'il vient de livrer, le soir de ce 14 juin 1807. Modèle de manœuvre et de jugement, comparable à Austerlitz dans sa conception, la bataille de Friedland marque quelques mois après la boucherie d'Eylau, une défaite sans appel pour l'armée russe.
Après avoir battu les Prussiens à Iéna et à Auerstaedt le 14 octobre 1806, laissant à la Prusse 40 000 soldats sur le carreau et prenant 300 canons et 60 drapeaux, Napoléon entre dans Berlin puis s'élance en Pologne où les Russes se regroupent.
Mais l'hiver arrive, la Grande Armée s'enlise dans la boue, les épidémies font des ravages et les Russes étant introuvables, Napoléon prend ses quartiers d'hiver autour de Varsovie et compte sur le printemps pour en finir avec la quatrième coalition.
Le maréchal russe Bennigsen prend l'initiative en janvier 1807 ce qui oblige Napoléon à engager la terrible et indécise bataille d'Eylau le 8 février. L'ennemi se replie en bon ordre et Napoléon doit se retirer vers le sud.
Le 26 mai, la Grande Armée marche sur Königsberg (aujourd'hui Kaliningrad) que Bennigsen va tout faire pour garder. En effet, cette ville abrite de nombreux dépôts et magasins, indispensables au ravitaillement de son armée mais elle accueille aussi le roi et la reine de Prusse, en exil depuis que Napoléon a investi Berlin, capitale de la Prusse. Les Russes franchissent l'Alle à Friedland (actuelle Pravdinsk) pour éviter la manœuvre de Napoléon.
Le 10 juin 1807 eut lieu la bataille d'Heilsberg qui permit la confrontation à Friedland
le 13 juin
Pensant avoir une journée de marche d'avance sur l'armée française, Bennigsen installe de fortes batteries d'artillerie sur la rive droite de l'Alle et fait passer une avant-garde réduite sur la rive gauche.
Dans la soirée, le maréchal Lannes et ses 10 000 hommes s'arrêtent à quelques kilomètres de Friedland. Bennigsen ne voit, dans le léger accrochage qui s'ensuit, qu'un simple combat d'avant-poste.
le 14 juin Les forces françaises progressant à marche forcée présentent un dispositif assez étiré : ils n'ont que 25 000 hommes à opposer aux 56 000 Russes aux premières heures du jour. À la fin du combat, les Français réussissent à engager 55 000 hommes.
Bennigsen dispose d'une énorme supériorité numérique : 84 000 hommes, mais ses erreurs stratégiques annulent cet immense avantage.
Les conditions de la bataille sont bien différentes de l'affrontement d'Eylau : pas de tempêtes de neige, mais la lourde chaleur d'un été précoce.
Vers 4 heures du matin (soit au lever du jour), Lannes ("le Roland de l'armée d'Italie") renforcé par les 10 000 dragons de Grouchy, engage le combat et jette le trouble dans les colonnes russes qui passent le pont de l'Alle. Bennigsen, qui ne peut penser que l'armée française a parcouru en douze heures le trajet qu'il a mis trois fois plus de temps à couvrir, réagit mollement à ce qu'il pense être une simple escarmouche.
Vers 7 heures, Lannes, appuyé par le 8e corps de Mortier, dispose de 20 000 hommes tandis que Bennigsen, apprenant que l'ennemi gagne en puissance, fait passer ses 50 000 hommes sur la rive gauche. Ceux-ci arrivant sur une plaine en forme de goulet vont combattre dos au fleuve, leur interdisant de battre en retraite en bon ordre.
Napoléon, de son côté, arrive d'Eylau avec la Garde impériale à pied et le 1er corps de Victor vers 12 heures 30, le reste de la Grande Armée suivant à moins de deux heures.
L'empereur, souriant et détendu, monte sur une hauteur d'où il peut embrasser tout le champ de bataille. Son état-major l'entoure. Comme il est déjà tard, certains de ses lieutenants proposent de remettre l'action au lendemain. « Non, non, on ne surprend pas deux fois l'ennemi en pareille faute » répond le "petit Caporal" , et il prépare l'attaque générale.
En début d'après-midi, les deux armées sont rangées face à face, prêtes à livrer bataille. Acculés à la rivière Alle et massés devant Friedland, les Russes forment un demi-cercle dont la Grande Armée occupe la circonférence. C'est une des manœuvres préférées de l'Empereur : briser le centre pour battre séparément les deux ailes. La ville prise, les ponts détruits pour couper la retraite de l'ennemi et il n'aura plus qu'à culbuter les Russes à la rivière.
L'attaque commence plus tard, vers 17 heures. Napoléon saisit le bras du maréchal Ney et en désignant le village de Friedland, il lui dit :
« Voilà votre but, marchez sans regarder autour de vous, pénétrez dans cette masse épaisse quoi qu'il puisse vous en coûter, entrez dans Friedland, prenez les ponts et ne vous inquiétez pas de ce qui pourra se passer à droite, à gauche ou à l'arrière. L'armée et moi sommes là pour y veiller. »
Ney part aussitôt au galop pour organiser son attaque. Ses forces avancent en direction de Friedland sous le feu de l'infanterie et des 100 canons ennemis, vomissant des milliers de boulets et de boîtes à mitraille. Le maréchal ordonne la marche en avant, l'arme au bras. La fumée, provoquée par des milliers de fusils et de centaines de canons, couvre et masque les masses de l'adversaire. Si bien que la 3e division oblique trop à droite. Ney ordonne à un colonel de l'appuyer à gauche. Mais pendant qu'il lui parle ce dernier se fait enlever par un boulet. Un commandant met aussitôt son chapeau au bout de son épée en criant : « Vive l'Empereur ! En avant ! » Un second coup arrive et le commandant tombe sur les genoux, les deux jambes coupées. Un capitaine succède et fait exécuter le même mouvement. Soudain, le maréchal Ney arrive en personne et encourage ses hommes à grands coups de « Foutres noms de Dieu ». La marche vers la ville reprend, l'ennemi est refoulé malgré l'intervention de la Garde Impériale russe. « Cet homme, c'est un lion » s'écrie avec admiration Napoléon à Mortier.
Le résultat semble incertain, mais la vaillance des dragons du général Latour-Maubourg permet à Ney de se dégager. De plus pour appuyer l'action du maréchal, Napoléon met à la disposition du général Sénarmont 36 pièces d'artilleries. Celui-ci réalise un exploit : tirant 2 800 boulets à 120 mètres des troupes en progression, ignorant leur feu, l'artillerie française décime à bout portant les carrés russes et fait rebrousser chemin à une charge de cavalerie. Il donne la victoire, une victoire éclatante et totale aux Français. En effet, Ney repart à l'assaut puis s'empare de Friedland et détruit les ponts.
Le flanc droit russe est culbuté dans la rivière par une dernière charge à la baïonnette des troupes de Lannes et Mortier.
La victoire est totale vers 22 heures 30.
Le coût:
Les pertes françaises s'élèvent à 1 645 tués et 8 000 blessés.
Les pertes russes sont énormes : 12 000 morts ou blessés, 80 canons, 70 drapeaux, 10 000 prisonniers, car dans les deux jours suivant la bataille, les soldats russes, exténués, se couchaient dans les champs et se laissaient prendre.
Les conséquences:
Les généraux russes supplient le tsar de solliciter un armistice : les émissaires qu'il envoie à Napoléon, le 16 juin, sont bien accueillis. Le même jour, Königsberg tombe aux mains des Français et, trois jours plus tard, la Grande Armée atteint la rive du Niémen, mais l'Empereur ne se sent pas les moyens de poursuivre l’ennemi au-delà de ce fleuve. Il craint surtout de voir l’Autriche rejoindre la coalition et attaquer la Grande Armée si loin de ses bases.
De son côté, Alexandre redoute une révolte de paysans en Ukraine et une offensive des Turcs ottomans sur le Danube.
Le 25, le Tsar rencontre l'Empereur de tous les Français sur un radeau placé au milieu du Niémen, « la nouvelle frontière du monde » s’exclame Napoléon.
Alexandre aurait abordé Napoléon en disant « Sire, je hais autant les Anglais que vous » et Napoléon de répliquer : « En ce cas la paix est faite ».
Le 7 juillet, les deux chefs d'état signent, à Tilsit, le traité du même nom. La Russie devient alliée de la France, elle abandonne ses territoires en Méditerranée, les îles Ioniennes en particulier et elle adhère au Blocus continental. Ce traité comporte aussi des articles secrets, comme le dépècement de l’Empire ottoman.
Le traité est catastrophique pour la Prusse : elle perd l’ensemble de ses territoires à l’ouest de l’Elbe qui formeront le futur royaume de Westphalie, avec à sa tête le frère de l’Empereur, Jérôme. De plus, la Prusse perd ses possessions en Pologne afin de constituer le grand duché de Varsovie et elle doit verser une lourde indemnité de guerre.
Jamais, sans doute, l’Empereur n’a atteint un tel degré de puissance.